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Sagesse et justice
vendredi, 19 Septembre 2014By Maxime Allard O.P.
La recherche de la sagesse n’est pas un simple exercice intellectuel menant à la contemplation. Elle n’est même pas – seulement– la patiente accession à une posture existentielle réjouissante, excitante débouchant sur le bonheur. La sagesse est recherchée parce qu’elle débouche sur une capacité à comprendre et à agir concrètement, à aider d’autres personnes à comprendre et à agir au quotidien.
Les questions et problèmes abondent, il suffit de lire les journaux :
Comment envisager les divers aspects entourant la prostitution – immense débat canadien et européen ces temps-ci?
Comment penser la justice dans les rapports entre Israël et les palestiniens?
Qu’est-ce qu’un État et les citoyens, pris individuellement, sont tenus d’offrir et de garantir à des réfugiés?... Sans oublier comment gérer le bruit sur un terrain de camping?
Comment envisager les rémunérations, les « primes » des dirigeants d’entreprises privées ou publiques?
Et la liste pourrait être allongée…
Ainsi, une part importante de la sagesse et de sa quête traverse les questions de la justice et ses liens avec l’économie. Les livres bibliques sapientiaux en témoignent; Saint Anselme écrit un « De la vérité » où il traite longuement de justice; saint Thomas d’Aquin a certainement écrit autant sinon plus sur la justice que sur la Trinité.
À propos de la justice, la sagesse n’a pas pour but le simple développement d’une seule capacité à argumenter finement en faveur d’une théorie bien ficelée de la justice. Encore moins de produire une vision du monde déterminée (Weltanschauung) qui offrirait d’emblée toutes les réponses.
Mais la quête de la sagesse entraîne le désir et donne les capacités de juger prudemment de situations complexes d’injustices pour tenter d’y rendre pensable et réelle une justice aujourd’hui ou pour demain… et pas pour un futur indéterminé ou pour attendre, patiemment, une Parousie ou l’éternel retour du même!
Dans ce champ de réflexion et d’action, la sagesse est d’autant plus nécessaire que les théories et les pratiques modernes sont désormais mises à mal, tant dans le cas des institutions nationales qu’internationales. Je vous suggère de méditer les analyses de Nancy Fraser dans Scales of Justice: Reimagining Political Space in a Globalizing World (2010), son débat philosophique stimulant avec Axel Honneth Redistribution or Recognition?: A Political-Philosophical Exchange (2004) et les discussions greffées, depuis, à ces ouvrages!
John Rawls
Je ne résiste pas à vous inciter à vérifier les déplacements théoriques sur la justice en relisant les parcours qui eurent lieu depuis Théorie de la justice de Rawls au début des années 1970 – fruit d’une réflexion amorcée à la fin des années cinquante – jusqu’à L’idée de justice de A. Sen en 2009, encore là à visiter les débats incessants ancrés dans ces schèmes.
Enfin, il m’est impossible de passer sous silence les travaux soutenus par les réflexions respectives de Thomas Pogge et d’Esther Duflo!
De la sagesse, il en faut pour entendre les cris des opprimés tout aussi bien que pour pressentir les douleurs et les colères muettes dues à des injustices demeurant encore « invisibles »!
Il en faut pour donner de la voix et réclamer de la justice de manière telle que cela porte du fruit dans les milieux et les institutions qui ne s’y intéresse guère ou qui seraient trop intéressés à ne pas le savoir!
Il en faut pour vouloir s’engager sur les sentiers de la justice et y durer!
Il en faut pour laisser se libérer les forces vives!
La sagesse, enfin, saura reconnaître qu’en ces matières du dissensus demeurera, des différends ne sauront être résolus, des malentendus sont inévitables… Car à vouloir les réduire trop rapidement, à penser pouvoir les policer durement une fois pour toutes, on risque fort de rendre la sagesse impossible!