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  • Se Souvenir!?

    mardi 11 novembre 2014
    Maxime Allard O.P.

    Flanders field

    Se souvenir!?

    Novembre est le mois du souvenir.

    Souvenirs soutenus liturgiquement ou culturellement de nos défunts.

    Souvenirs politiques de la guerre, de la fin de la guerre, des morts à cause de la guerre.

    D’ailleurs, pour plusieurs ces deux registres de commémoration se croisent. Pourtant, d’année en année, ce dont il faut se souvenir augmente : de nouveaux défunts, aimés ou non, sont inscrits sur la liste de nos mémoires et de nos cœurs blessés; de nouveaux concitoyens ont été occis dans des conflits armés qui ne semblent pas vouloir se terminer.

    Souviens-toi! Étrange impératif qui signale bien que ce dont il s’agit n’est pas le simple rangement d’une idée, d’un événement, d’une situation au fond d’un tiroir de l’esprit humain et qui demeurerait à portée de la main.

    Au contraire, on a l’impression qu’il s’agit de tout sauf de ranger une idée parmi d’autres. Ce qui est demandé dans « Souviens-toi », c’est de garder vive, présente, la mémoire d’un événement. L’impératif impose – au moins, c’est sa visée – de conserver un souvenir de telle sorte qu’au présent il oriente des délibérations, des choix, des actions. Année après année, l’impératif est répété pour conjurer les effets de l’oubli, de l’indifférence.

    Étrange impératif qui fait qu’en société et en Église on organise des célébrations sans que, pourtant, le souvenir ainsi ravivé change quoi que ce soit aux délibérations, aux choix et aux actes. Au moment où, cette année, le « Souviens-toi » est chargé d’un surcroît de sens à cause des événements à Ottawa au pied du monument du souvenir des morts canadiens au cours de guerres meurtrières, on choisit de repartir en guerre, de relancer les mécanismes belliqueux…

    Pourtant, peut-être commande-t-on le souvenir pour mieux en contrôler l’oubli réel? Nietzsche aurait répondu dans le second essai de sa Généalogie de la morale : pour mieux contrôler, pour mieux générer – et gérer – la culpabilité, on impose aux autres de se souvenir! Difficile de balayer d’un revers de la main la proposition nietzschenne! Sinon, peut-être, si on se situe délibérément du côté des manipulateurs de la mémoire…

    La reine didonDidon chante à Énée, chez Purcell « Forget my fate ». S’il n’oubliait son sort, sa mort, peut-être ne pourrait-il pas vivre, s’aventurer à fonder Rome? Certains souvenirs sont délétères, débilitant, mortifères! « Forget my fate », chante Didon mais aussi, dans le même souffle,  « Remember me ». « Souviens-toi de moi » afin que ce souvenir t’inspire, te fortifie… Le souvenir ne va donc pas sans des oublis et vice versa.

    On le sait, l’articulation vivifiante de cette logique n’est pas donnée. Elle résulterait, peut-être, d’un patient travail d’interprétation critique, personnel et communautaire, et de conversion du désir. Et, avouons-le sans détour, on y parvient rarement, péniblement, par intermittence…

    Entre temps, nous sommes hantés, travaillés par de l’oublié, du réprimé!

    Et les guerres continuent!

    Et les blessures de l’âme sont purulentes.

    Et les morts s’accumulent.

    Et plusieurs sont oubliés…

    « Souviens-toi »!!!

    Triste sort!

    … Qu’est-il permis d’espérer? Kant répondrait : une délibération responsable en vue d’une transformation des choix fondamentaux des individus et une rationalisation des pratiques sociales et politiques. Ailleurs, autrement, sans contradiction, l’Évangile répondrait : souviens-toi de Jésus Christ ressuscité d’entre les morts! Que répondons-nous?

     

    poppies

  • L'action de grâce, ancienne et nouvelle

    vendredi 10 octobre 2014
    Maxime Allard O.P.

     

    Au cœur des traditions religieuses juives et chrétiennes, on trouve des sacrifices d’action de grâce, des gestes marquant la reconnaissance. L’eucharistie catholique, régulière, n’est après tout qu’une longue prière d’action de grâce. À chaque fois, il s’agit de reconnaître, c’est-à-dire de signaler que nous confessons que Dieu a posé des actes en faveur de l’humanité, de faire mémoire de ces actes; il s’agit aussi d’être reconnaissant, c’est-à-dire de rendre grâce, de louer pour ce qui a été fait jadis pour espérer en bénéficier encore aujourd’hui… et demain!

    Mais la fête de l’action de grâce n’est plus seulement une fête religieuse ou ecclésiale. Elle est devenue une occasion sociale. 

    Alors, qu'est-ce que la reconnaissance?

    La reconnaissance implique, premièrement, un aspect de réflexion. Il importe à la reconnaissance de prendre du temps pour revoir une expérience, pour revisiter une situation, une période, une vie. Et cette révision est guidée par une question : que dois-je à qui? Moins un devoir, ici, qu’un acte qui tente de déceler ce qui a été reçu d’autrui, qui m’aura permis de devenir moi-même, de me connaître mieux et d’être mieux au service d’autrui, d’être meilleur compagnon, meilleur amie!

    La reconnaissance implique, aussi, dans un second temps, d’inventer le geste qui permettra de publiciser, à plus ou moins grande échelle, cette connaissance. Il s’agit moins d’encenser celui ou celle qui a donné, aidé, soutenu que de lui signaler, par un geste symbolique que l’impact de ce « don » a été bénéfique. Il s’agit de répondre – de correspondre – à la prévenance d’autrui envers nous par un geste de déférence.

    Célébrer?

    Le rythme effréné de nos vies, la multiplicité des contacts, des « amis », la consommation de l’information sont autant de facteurs qui contribuent à nous faire oublier ce que nous recevons. La reconnaissance et l’action de grâce qui l’accompagne sont une invitation à commémorer la bienfaisance qui a été dirigée vers nous!

    Alors que la société offre une journée de congé, prenons le temps d’un tour d’horizon pour ne pas oublier qui nous a fait du bien! Prenons le temps d’une parole reconnaissante…. Si nous nous y mettons à plusieurs, cela pourra vraiment devenir une fête!!!